Caresse délicate sur le derme. Brise dont le souffle fourrage entre les mèches. Point de brouhaha le long des chemins. Tignasse en cascade de jais sur les épaules, corbeau savoure les effluves estivales. Un brin de candeur, malgré la noirceur qui trône sous le carcan acéré. Parfum d'autrefois, tandis que menotte emprisonne des doigts qu'elle épouse depuis des siècles déjà. C'est l'enfance qui revient au galop. Souvenirs de quelques rires, même fugaces. Avant que le ciel ne s'assombrisse enfin. Et de se dissimuler derrière les vieux chênes, exaltation dans les tripes, ramdam à travers les ventricules. La plus âgée et la plus jeune. Deux comètes qui ne savent que graviter l'une autour de l'autre. Sûr qu'elle lui décrocherait la lune !... Ah, le sang des siens ! Venin pernicieux qui ne sait que gangrener l'esprit. Parasite solide entre les tempes. Déplorable faiblesse. Potence.

Rictus charmé. Regard papillonnant. Difficile d'y lire quelconque émoi sur la trogne du volatile auprès d'elle. Y a-t-elle déjà perçu le moindre trémolo ? Jadis, peut-être, lorsque jeunesse et innocence dansaient encore sur son front pâle. Un souffle lui prend dès lors le gosier. Et mirettes sondent le profil de la cadette. Comme elle souhaiterait lui offrir davantage encore. L'univers. Genoux à ses pieds. Phalanges exercent infime pression. Sorte d'amour malhabile. Point d'étalage entre les deux reines déchues. Seulement la réminiscence de quelques étreintes, dérobées au néant de leur tendresse.

Ce qu'elle a toujours rêvé pour les siens s'en vient aujourd'hui. Voilà que son joug se dresse, rempart dantesque, contre ce monde détestable qui s'est plu à brimer son sang. Revanche, qu'elle a bercé dans l'ombre de quelques nuits agitées, s'esquisse enfin. D'ici peu, son foyer deviendrait règne.

« Tu verras, tu te plairas à Moscou.

Nul choix.
Imala n'en a jamais eu.

– Ils courberont tous l'échine devant ta splendeur, qu'elle s'esclaffe en mêlant ses phalanges aux siennes, je te le promets. Je t'offrirai le monde sur un plateau.

Éclats goguenards dans l'atmosphère. Dahlia trottine au devant; adolescente d'un autre temps, l’œil malicieux.

– Te rappelles-tu, lorsque nous jouions à cache-cache dans la forêt qui entourait le jardin ? Mère disait que notre terrain de jeu, à ce rythme, s'étendrait bien au-delà de la maison.

Et de se précipiter à nouveau vers elle, capturant son minois de deux paumes avides.

– Elle avait raison. Nous avons finalement dépassé les frontières, Imala ! Et plus rien ni personne pourra se mettre en travers de notre route, désormais. »

C'est une chute vertigineuse lorsqu'elle s'égare derrière ses cils. Imala. Fragilité cuisante qu'elle s'efforce de calfeutrer sous quelques palabres acerbes. Mais Elle s'en trouve ici, blottie entre ses ventricules, dont le ramdam ne cesse d'ébranler jusqu'à Morphée qui s'en vient tromper la nuit. Et, chaque fois qu'elle pose les yeux sur ces traits graciles qui la tenaillent, quelque chose se brise sous la couche de marbre. L'inspiration est douloureuse dans la cage thoracique. Sûr qu'elle pourrait lui demander le monde. Dahlia s'empresserait de le lui offrir sur un plateau d'argent. Point de limite aux émois qui l'assaillent lorsqu'elle s'immerge dans cet océan d'ébène; miroir d'une noirceur qu'elle ne peut que reconnaître. Plumages similaires pour les deux sœurs à l'âme jumelle. Comprend-elle, toutefois, l'affliction qu'elle supporte péniblement ? Non, bien sûr que non.

« Aucune cage ne saura nous contraindre de rester au sol désormais.

C'est une promesse. Et Dahlia n'a jamais failli. Comment faire disparaître les plissures incertaines de son front ? Imala a toujours souhaité plus encore. Elle le sait. Voilà qu'elle s'en revêt sans détour aujourd'hui. Les paumes s'égarent alors le long des épaules, suivent les courbes pour s'enquérir des menottes. Elle l'entraîne plus loin, là où les prunelles ne peuvent que discerner silhouettes hésitantes à l'ombre d'une ruelle. Brume incertaine dans la pénombre d'une soirée estivale. Les rires vont bon train entre les bras de l'indomptable Moscou. Sûr qu'elles en surplomberont jusqu'aux parcelles égarées. Dahlia se le jure chaque jour. Elle offrirait le meilleur, davantage sûrement, à cette dynastie qui porte son nom. C'est la guerre qui s'impatiente, là, dans les recoins sinueux de la ville. Imala en a conscience. Dahlia s'enorgueillit.

– Ils ont un hiver grisant, ma chère sœur.

Elle la pousse à travers l'artère minuscule. Complainte déchirante résonne dans le lointain. Rictus s'étiole dès lors sur les lèvres pourpres de l'aînée, lorsque mirettes se posent enfin sur une masse recroquevillée.

– Je savais que je me devais d'être convaincante, qu'elle murmure près de son esgourde.

Une jeune femme trépigne d'incertitude aux abords de l'impasse. Un poil cabossée, elle se fait violence pour ne pas tout simplement se laisser fondre sur l'asphalte. Le vacarme de ce soir de fête couvre ses litanies. Dahlia la présente alors d'une main leste.

– Ton repas, mon amour. Leur jeunesse est exquise.

Les prunelles humaines s'altèrent une seconde seulement. Corbillat s'exhale entre les côtes. Dahlia secoue la tête pour ne pas s'abandonner aux trémolos de l'animal.

– Après toi... »

Point d'aisance lorsqu'il s'agit d'apaiser les trémolos de la plus jeune. Toujours ainsi malgré les siècles d'errances et d'insomnies. Même avant la rituel. Imala; petite fleur délicate, éternellement lasse de l'inspiration qu'elle se doit de prendre pour subsister. Quel défi !... Dahlia ne compte plus les interminables bavardages, ni même les occupations rocambolesques. Mais rien. Sa sœur ne trouve goût qu'aux vastes étendus de neige, qu'à la saveur délectable d'une jouvence dérobée. La Russie serait semblable à cette autrefois qu'elle semble regretter lascivement. Par delà les buildings et le bitume se dresse une nature encore indomptée. Imala pourrait y régner. Sûr qu'elle en régentera jusqu'à l'alizé. Que ne ferait-elle pas pour offrir à celle-ci ne serait-ce qu'un peu d'accalmie ? Mais le chemin serait probablement long. Elle le sait. Il suffit de contempler son incertitude, quand ses mirettes se posent çà-et-là. Néanmoins, rictus se fraye chemin sur les lèvres de la plus âgée. Un brin de tendresse sur le minois souvent trop austère. Elle l'aime. Cela est une certitude.

« Ne sois pas trop dure, amour, laisse une chance à cette ville, fais-moi confiance une fois de plus.

Dahlia ne rétorque plus après cela. Qu'importe les droits et les commandements qui demeurent ici. Bientôt, tout ceci ne serait plus qu'un lointain souvenir. Alors sa petite tête s'agite avec nonchalance. Peu importe. Le spectacle suffit à en balayer les conséquences. Frémissement délectable le long de l'échine. Et voilà qu'elle se fait violence pour ne point rejoindre sa sœur. Du plus loin qu'elle s'en souvienne, jamais elle n'a trouvé scène pareille. Sa frénésie est une caresse chapardée au néant, un baiser échangé dans l'obscurité cuisante d'une bienséance incommodante.

Point de boniment après cela. Dahlia s'éprend à son tour de la malheureuse. L'étreinte gronde dans les tréfonds de son corps de femme. Pincement équivoque entre les lombes. Ô qu'elle adule cet émoi ! Jeunesse se subtilise ! Elle la sent poindre à travers chacune de ses cellules, embrasser un désir plus trouble encore. Le pantin s'affale dans un bruissement d'étoffes sur le pavé crasseux. Le volatile s'ébat quelques secondes encore. La prunelle aussi noire que la mort elle-même. Point de remord. Dahlia se fiche éperdument des coquilles laissées sur son passage. Elle ne songe qu'à sa propre personne, qu'à celle de sa sœur.

– Cette ville est une opportunité pour notre famille, qu'elle répond en lissant sa chevelure de jais, nous allons pouvoir étendre notre suprématie.

Mais Imala n'en assimile pas véritablement les enjeux. Du moins se fiche-t-elle pas mal d'étendre leur nom. Point d'affinité avec le pouvoir, elle n'aspire sans doute qu'à vivre sereinement son existence volatile. Dahlia le comprend. Elle s'y efforce.

– Un jour, peut-être, comprendras-tu que je fais tout cela pour nous.

Ses os craquent. Ses omoplates se mouvent en une valse déchirante.

– Puis-je au moins te montrer les vastes étendues par delà le macadam ?

Deux égides déchirent alors l'échine, ravies de pouvoir enfin battre l'air autour d'elles.

– La première au sommet ? », qu'elle lance naïvement dans un bruissement de plumes ébènes.