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| Les soldats sont partis et ils ont emporté dans leur sillage, le calme tiède de la maison des fées, la force des pères et la tendresse des mères.
Par la fenêtre ouverte de sa chambre, Cosmas regarde la nuit d’été sans roi qui pèse si lourd sur ses épaules frêles. Cette nuit Moscou crie, de sa longue voix grave de pierre séculaire et mitraillée, l’effroi des cœurs et la clameur des fiertés étripées.
Il pose ses mains douces sur le rebord de pierre, il pose son regard d’or sur les rues noires. Il est cinq heures du matin, le soleil se lève bientôt. Son corps semble sans matière. La fée attend la lumière du jour, la clarté des esprits apaisés et la blancheur des volontés revenues à elle. Sa voix a perdu le son et le verbe. Cosmas ne sait plus vraiment où il est.
Les heures roulent et les ombres s’étirent. Il faut ranger les choses remuées par les soldats et fermer les portes, tant de portes, tant de murs ouverts et de meubles éventrés. Il faut ramener l’ordre dans les choses pour vernir de normalité un monde qui parait de moins en moins normal. Le corps se meut, les doigts blancs et fins s’agitent contre la réalité plus monstre que les monstres des contes. Les os de calcaire poussent contre les nerfs, les muscles et la peau. L’essence féérique retrouve ses droits : ceux de l’imaginaire plus fort que la peur, de la foi plus dense que la cruauté. Et la force éthérée se répand de nouveau dans le petit corps humain.
Il se penche vers les oreilles des membres de sa famille, les plus grands et les plus âgés, et il demande, de sa voix ruisseau, que sont devenus ses amis. On lui répond après quelques recherches. Il tressaille quelques secondes. Il remercie ensuite.
Il ne demande pas pourquoi les Romanov ont décidé cela, ni pourquoi les Thompson se sont associés aux Romanov sans élever la voix, parce que derrière l’or des iris de sa famille, il y a des éclats inhabituels, un accord tacite contre la violence systématique, une conscience latente qu’il n’y a pas eu de dialogue. Le silence des maisons prises au dépourvu.
Il sort.
Chaleur.
Il porte une chemise blanche, fine comme un voile de nuage, et un pantalon clair. Il porte la légèreté de sa nature et la fluidité des êtres faits pour se mouvoir hors de la matière. Il marche vite vers la nouvelle adresse de la personne qui pourrait avoir le plus souffert de la nuit d’invasion.
Tout en Néhémie est différent. Tout en Néhémie hurle l’étrangeté assumée et soulignée. Quelles furent les réactions d’hommes armés engagés pour forcer la population à se plier à des lois, à des normes, à des comportements réguliers ? Néhémie fut en danger.
La nouvelle adresse de Néhémie n’est plus lustrée d’or ni d’argent. Il y a du sale et des relents plébéiens pas loin, et aux rebords des fenêtres voisines, il y a des mines grises et crispées.
Il sonne.
Il attend.
Il se replie un peu sur lui-même.
La porte s’ouvre, Cosmas ouvre grand ses yeux et sa bouche, laisse son cœur s’écrier :
- Néhémie, tu vas bien ?
Le nouveau loft de Néhémie est plus étroit, plus vieux, plus encombré.
Mais Cosmas pose à peine son regard sur les objets. Il n’est pas venu pour la matérialité ni pour le quotidien. Il est venu pour une individualité un peu feu-follet, un peu folle.
- Ils m’ont dit…
Alors quand il faut parler et nommer les choses, les concrètes, les brutales, il a du mal, il étrangle ses mots et ses pensées.
- Ils m’ont dit que tu avais été marqué. Brûlé.
Cosmas ne comprend pas, ne peut pas comprendre. Il est né dans une famille qui se dévoue depuis des siècles pour aider les hommes. Il est à l’âge où il devrait vouloir être adulte et repousser l’enfance avec la force des hommes qui ont honte d’avoir été enfants, parce qu’ils ne sont pas encore suffisamment adultes pour ne plus en avoir honte. Mais Cosmas est trop rêve et nuage que pour rejeter son enfance et embrasser l’âpreté des adultes.
- T’es-tu débattu ?
T’es-tu battu ?
As-tu rugi ?
- S’il-te-plait, dis-moi…
Et de cela, de son esprit hors du temps et loin des gens, il en est conscient. Alors parfois, il demande. A quel point il n’a pas vu. A quel point il n’a pas réalisé. Comment sont les autres, les adultes qui haïssent l’enfant qu’ils furent. Comment agissent les plus grands et les plus âgés.
Que n’ai-je pas vu ?
Dans l’alliance de ma famille avec le Tsar ?
Que n’ai-je pas entendu ?
Dans ta singularité si loin de ma réalité ?
- Dis-moi à quel point Moscou est punie pour ce qu’elle n’a pas fait.
@Néhémie N. Paley @Dorreh Glazkov |
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