Le commissariat, je ne dirais pas que je connais par cœur mais j'y suis déjà venu plusieurs fois. Je connais grossièrement les lieux même sans avoir eu le privilège ou la malchance d'en visiter les moindres recoins. En ce moment, ils sont tous en ébullition, ce qui est bien compréhensible. Nos services à nous attendent que les leurs fassent leur boulot, nous attendons sagement en rongeant notre frein. Et à un moment donné, on nous demandera de faire tomber des têtes, probablement. J'entre dans le hall de l'immeuble immaculé, pauvrement chargé mais pas les mains vides non-plus. Je m'avance vers l'agent qui se trouve à l'accueil et lui laisse mon identité avant de rejoindre les étages.
Le commissariat, je laisse mon esprit vagabonder alors que je me dirige vers le bureau de Claus. Une œillade par ci, une par là en essayant de ne pas me trouvant sur le passage des uns et des autres. Mes doigts se resserrent autour de la grosse enveloppe que je transporte, sans me demander si mon initiative est la bonne, je sais qu'elle l'est forcément. En fait, c'est simplement un dossier passé sur mon bureau qui m'a fait penser à Claus et sa situation. Et ce n'est pas faute de lui avoir déjà parlé, mais elle s'entête à.... je ne sais même pas si c'est une sorte de pathologie que je ne comprends pas, ou une autre raison tout aussi obscure qui l'empêche de mettre un point final à des années de souffrance.
Le commissariat, n'est-ce pas l'endroit qui crie qu'il faut éradiquer les problèmes ? N'est-ce pas là qu'on essaie de trouver comment arracher les mauvaises herbes, comment sortir les éléments défectueux d'une société qui se veut plus parfaite de jour en jour ? Pourquoi fermer les yeux sur les bourreaux qui ont un visage que nous connaissons, voir que nous apprécions. Et lui... prisonnier de son cercle vicieux, qui ne demande qu'à « Hé vous, qu'est-ce que vous faites à traîner ici ? » Je m’interrompt, réunis tout ce que je peux de courtoisie et offre un sourire bienveillant. « Je ne ''traîne'' pas ici alors écartez-vous de mon chemin ou vous allez apprendre mon nom et ma fonction d'une manière qui sera fort déplaisante pour l'un d'entre nous et... petit indice, ce ne sera pas pour moi. » Il ne rétorque pas, très bien. Je glisse délicatement le petit sac kraft blanc que je tiens dans la main droite dans la jumelle de cette dernière. Je cale mon enveloppe sous mon bras et viens déposer ma main contre l'épaule du jeune agent : « Soyez une crème, prévenez le commissaire Bauer que M. Karenine vient la voir. » Je le contourne et alors que j'arrive à l'antre de la bête, la porte s'entrouve.
Le commissariat, ce lieu chaleureux où, j'imagine, il fait bon venir jour après jour... J'entre directement dans le bureau de Claus, ne manquant pas un coup d'oeil pour voir si elle n'est pas déjà en train de s'entretenir avec quelqu'un. Notant l'absence de vie autre que la chère Claus, je viens m'appuyer contre son bureau, lui lançant en guise de salutations : « Choisis une main. » Et je mets mes bras contre mon dos. Comme elle ne répond pas immédiatement mais que je vois son regard bifurquer sur la gauche, je lui tends le petit sachet de kraft blanc fermé d'un simple nœud au bloduc noir. « Ça, ma chère, c'est une rose éternelle pour te dire que ça fait trop longtemps qu'on ne s'est pas vus. » Je dévoile ma seconde main contenant l'enveloppe. J'en sors alors une chemise à sangle parfaitement serrée, dans laquelle se tasse une cinquante, peut-être dans les soixante pages. Je le claque presque sur son bureau et lui annonce froidement : « Et voici ton dépôt de plainte. Il comporte ton dossier médical et les récits aussi complets que possibles de tes voisins et de ton entourage. Quelques pièces nécessiteront ta correction mais je pense que tu peux le faire rapidement. Bonjour, Claus. »
Enfermée dans la souricière qui lui sert de bureau, Claus, de toute sa droiture, contemple avec attention la photographie prise le matin-même. Allongée sur le pavé d'Arbatskaya, un homme, la trentaine, légère barbe, cheveux bruns, chemise et pantalon de lin, les tripailles à l'air. Les boyaux s'échelonnent sur son poitrail, semblent chercher à grimper jusqu'aux cieux pour retrouver le propriétaire au Paradis. Le Tueur d'Humanité. Ne manquait plus que cela pour illuminer davantage ses journées. Entre l'éprouvante affaire de la Cérémonie de la Paix, et cette infâme meurtrier se baladant dans les rues, Claus n'a pas fermé l'oeil depuis deux jours. Si bien qu'elle ne parvient pas à se concentrer plus de cinq minutes sur le cadavre qu'elle contemple. Les iris floutent la scène, comme une censure gratuite provenant d'un cerveau meurtri de fatigue. Finalement, elle pose l'image sur le bureau, pose la main contre cerveau. Le front est malaxé quelques instants. Les paupières, closes, plus longtemps. « Fait chier, putain. »
Quand l'un des flics vient taper à la porte, elle prend soin de ranger toutes les informations que contient le dossier avant de le faire entrer. Visiblement aussi agacé qu'elle, il annonce l'arrivée imminente d'un garçon qu'elle connait depuis fort longtemps, et qu'elle surprotège un peu trop. C'est un froncement de sourcils qui accompagne finalement la démarche du collègue. « Faites-lui savoir que je n'ai pas le temps. » Mais il reste planté là. « Il insiste, Commissaire. » Et elle soupire. Pendant un instant, elle finit par croire qu'il lui apporte une petite parenthèse de paix dans cet Enfer qu'est cette journée, que dire, cette semaine. Et elle n'a pas courage à lui tenir tête actuellement. Alors elle accepte. Il lui faut quelques secondes à peine pour apparaître dans l’entrebâillement de la porte. Et elle se rend compte à cet instant qu'elle a bien besoin d'un café. Un énième café. ça lui monte la salive à la bouche.
Ilya n'a jamais été très conventionnel. Malgré son métier et le milieu dans lequel il baigne, il a toujours été, en sa présence, un adolescent qu'elle s'évertue à tenir auprès d'elle, un gamin capricieux dont elle connait les rouages par coeur. Pas d'illusion avec elle, si simple, si éloignée de tout ce qu'il côtoie d'habitude. Une parenthèse à cette vie de mensonge, où il excelle, mais où il ne semble pas lui-même. Le coin des lèvres s'arque légèrement lorsqu'elle choisit première main, et qu'il lui fait présent d'une fleur. Quel genre de mère ne serait pas émue de telle attention ? Cependant, la seconde main, elle, fait évaporer tout signe d'émotion. Ne laisse, sur le visage, que la surprise et la colère. L'ouragan, soudainement, vient se poser dans son ventre. « Mon dépôt de... Tu te fiches de moi, c'est ça ? » Elle ne le saisit pas. Elle ne le regarde même pas. Ce dossier, bourré de preuves accablantes sur ce qu'elle vit au quotidien, n'est qu'un nid infesté de vérités qu'elle n'est pas prête à contempler. Les yeux s'imbibent d'encre de chine. « Tu as enregistré une déposition à ma place ?! Tu as... enregistré des témoignages, fouillé dans ma vie privée ?! » Claus s'énerve peu. Presque jamais, à dire vrai, malgré son caractère bien trempé, grâce à plusieurs années d'entraînement chevronné. Pourtant, elle est bien loin de garder son calme à l'heure actuelle. Le rejet de la proposition est rejeté avec hargne et puissance. Si bien qu'elle se lève, pose les deux mains sur son bureau, et plante son regard, tout de noir, dans celui du fils adopté. « N'as-tu donc aucune limite ?! Qu'est-ce qui t'a pris, bon sang ?! C'est un crime de faire un faux dépôt de plainte, et d'imiter ma signature ! » Finalement, elle se saisit du dossier et le met délibérément à la poubelle, avec une violence bien palpable. « Tu n'as pas le droit de creuser dans ma vie privée, Ilya ! Et encore moins le droit de me forcer à engager des procédures judiciaires contre mon gré ! Fausse déclaration, putain, je suis Commissaire de Police ! Te rends-tu compte que je pourrais être mise en faute ?! » Et pouce et index viennent se planter sur les sinus, à essayer de canaliser le bordel cérébral. « J'ai un attentat, un meurtre, et un enlèvement sur les bras, et tu rappliques ici en étudié ma vie privée, avec une putain de fleur pour être sûr que ça passe ?! » Si elle laissait toutes ses émotions parler, elle exploserait littéralement. Commencerait à tout péter dans ce bureau où elle est enfermée depuis deux jours, où elle commence visiblement à tourner en rond. Mais elle prend sur elle. Encore. Toujours.
Je vais te tuer. Et lorsque ceci sera fait, je danserai sur ton cadavre en écoutant du métal, en piétinant tes boyaux et en festoyant sur ta gueule. Et je me défoncerai, si bien que je finirai par faire un petit somme avec ton corps froid. Et ce sera le meilleur souvenir de toute ma putain de vie.
Pando
Lun 20 Mai - 8:40
Ilya K. Romanov
EMISSARY OF DEATH
Impétuosité : 165
▬ Mon dépôt de... Tu te fiches de moi, c'est ça ? ▬ Du calme...
Elle ne réagit pas bien, je m'en doutais. Je me doutais qu'elle le prendrait mal et toutefois je comptais sur sa curiosité pour me donner raison, qu'elle ouvre pour voir ce qu'il s'est dit à son propos et pour voir si le dossier tient la route. Je comptais sur un peu de curiosité, celle de savoir si elle avait cette porte de secours mais elle est aussi têtue qu'une vieille bourrique ! Elle s'énerve, ses traits se tirent dans un masque de colère, parce qu'il est plus aisé de se terrer dans la colère que dans la honte, j'imagine.
▬ Tu as enregistré une déposition à ma place ?! Tu as... enregistré des témoignages, fouillé dans ma vie privée ?!
Je patiente, croise les jambes et balance la tête en arrière, pour laisser tranquillement la tempête passer. Pour qu'elle ait le temps de s’imprégner des informations qu'elle déduit, juste ou pas. Je ferme les yeux le temps d'une seconde avant de rapporter mon attention sur elle. Elle bondit et s'approche de moi, je me redresse sensiblement pour qu'elle sente que je lui fais face sans crainte. D'abord parce que je ne crains pas Claus, j'ai trop d'estime pour elle pour cela, en dépit de ses mauvaises décisions. Ensuite, parce que je sais que je suis dans mon bon droit, et qu'elle n'a rien pour s'en prendre à moi.
▬ N'as-tu donc aucune limite ?! Qu'est-ce qui t'a pris, bon sang ?!
Des limites, non pas vraiment. Que celles dictées par la loi et un semblant de morale. Je pense doucement la tête sur le côté, essayant de comprendre ce qu'elle veut réellement dire. Elle connaît bien mon point de vue sur la situation pourtant, même si je n'en parle pas en permanence. Elle doit réagir. À un moment donné, il faut prendre le taureau par les cornes. Faire ce qui est déplaisant.
▬ C'est un crime de faire un faux dépôt de plainte, et d'imiter ma signature !
Je pince sensiblement les lèvres, presque vexé qu'elle me pense capable d'outrepasser la loi pour faire passer un message. Si je devais changer les règles, je lui aurais conseillé de tenter la légitime défense et d'acheter une arme à feu. Elle prend la chemise qu'elle balance sans l'avoir ouverte, tous mes espoirs de la voir se réveiller viennent de s'écraser pendant que la carte rigide se tord contre le fer.
▬ Tu n'as pas le droit de creuser dans ma vie privée, Ilya ! Et encore moins le droit de me forcer à engager des procédures judiciaires contre mon gré ! Fausse déclaration, putain, je suis Commissaire de Police ! Te rends-tu compte que je pourrais être mise en faute ?! ▬ Calme-toi donc... lui dis-je d'une voix tranquille.
Elle ne risque rien, absolument rien. Et je manque de lui rétorquer qu'apparemment elle est habituée à vivre « contre son gré » mais comme je ne souhaite pas la blesser, je retiens ce commentaire désobligeant. Je passe une main dans mes cheveux et attends qu'elle ait terminé de s'énerver pour finalement quitter le bord de son bureau. Je fais quelques pas puis vais jeter une oeillade vers la fenêtre. ▬ … et un enlèvement sur les bras, et tu rappliques ici en étudié ma vie privée, avec une putain de fleur pour être sûr que ça passe ?! ▬ J'ouvre la fenêtre, lui dis-je en mêlant l'acte à la parole.
Finalement, je récupère la chemise à sangle que je pose sur son bureau, laissant ma main à plat dessus. Je lève un regard sévère sur elle et lui fais simplement ce commentaire : « Hier, j'ai parlé avec un procureur, qui représentait le ministère public dans une affaire d'homicide. Un homme qui a été jusqu'à sauter à pieds joints sur la cage thoracique de sa femme. Sauter, à pieds joints. Quand les détraqués ne savent pas se mettre de limites, n'est-ce pas à nous de le faire ? » Je prie, parfois, pour ne pas devenir l'un d'entre eux. J'ôte délicatement ma main de la chemise et défaits la sangle, laissant le loisirs à Claus d'ouvrir si elle le souhaite. Je me rapproche d'elle et tente un sourire un peu plus doux : ▬ Je ne voulais pas que tu te sentes attaquée. Crois-moi, aucun de nous deux ne risque quoique ce soit. C'est simplement que je cherche le bon électrochoc, et tu ne me facilites pas les choses.
Que ferai-je s'il lui arrive malheur ? Je ne pourrais même pas la venger, j'ai trop foi en la justice pour porter mes espoirs sur la vengeance. Je joins mes mains dans mon dos et reviens près de la fenêtre.
Pendant un instant, elle manque d'oxygène. Ses poumons réclament un met précieux qu'elle ne semble pas trouver dans la pièce, trop restreinte, trop polluée par la sueur des policiers qui passent et repartent, par son inquiétude dévorante, et par sa colère persistante. Ses jolies joues blanches sont passées au rosé, entachent le visage immaculé, alors que le front accueille quelques perles persistantes. ça remue, dans la caboche. « Me calmer ? » Malgré les nombreuses possibilités qui s'offrent à elle, jamais, jamais Claus n'entre dans l'hystérie. Particulièrement sous contrôle de ses émotions les plus extrêmes, il est plus que rare que quelque chose ne lui échappe, lorsqu'elle n'a pas descendu une bouteille entière avant de parler. Aujourd'hui, elle a bu un verre entre deux dossiers, histoire de se réveiller. Et si le monde pouvait savoir à quel point sa soif se veut présente, crevante ! Et plus les secondes passent, maintenant, et plus sa gorge réclame la brûlure profonde d'un verre de liqueur trop forte. « Je crois que tu ne saisis pas bien à quel point ça me blesse ! » Parce qu'aux tréfonds de la cage thoracique, bien dissimulée entre les ventricules, il y a l'impression étrange de se retrouver en position de faiblesse, ce coup de poignard dans son orgueil, cette perforation de son autonomie.
Lorsque le ton redescend, alors qu'il prend l'initiative d'ouvrir la fenêtre, Claus passe une main soudainement moite sur l'atlas, tord son petit cou pour tenter de détendre les muscles qui retiennent son crâne endolori. Le bouillon interne ne se tarit pas. Mais elle parvient tout de même à parler moins fort. De façon à ce que les policiers alentours, ayant une charmante vision de son minois à travers les stores,détournent enfin leurs yeux curieux. « C'est à moi, et à moi seule, de faire ça. Tu entends ? » Et à l'écoute de son histoire, elle lève la main en guise de stop, secoue la tête en guise de non. Ce n'est pas le déni qui accompagne son geste. Ce sont les milliers de molécules hystériques à l'idée d'être réduite à l'image d'une petite victime toute fragile devant la totalité de ses collègues, et de ses proches. « Je me fous totalement de l'histoire des autres. La mienne me suffit amplement. » Et elle siffle entre ses dents, comme un serpent qui défend son butin. « Et quoi ? Tu vas créer ces limites toi-même avec un bout de papier ? Je suis la mieux placée pour savoir que ce dossier va finir sur une pile d'innombrable cas similaires, dont les coupables n'auront qu'une pauvre amende ridicule. » Les violences conjugales sont régulièrement mises à la poubelle. De simples amendes suffisent. On ne dira jamais à quel point l'inégalité est présente. On ne dira jamais non plus à quel point les victimes souffrent dans de telles joutes. « J'ai bien conscience que tu t'inquiètes pour moi, et je sais que ce n'est clairement pas malveillant, mais je ne veux pas que tu te mêles de ça. » Alors elle se rassied, lourdement, sur cette chaise qu'elle ne supporte plus depuis trois jours. « C'est mon mari. Et donc mon problème. » Et au-delà de régler ce litige officiellement, elle ne tient pas du tout à en parler.
Je vais te tuer. Et lorsque ceci sera fait, je danserai sur ton cadavre en écoutant du métal, en piétinant tes boyaux et en festoyant sur ta gueule. Et je me défoncerai, si bien que je finirai par faire un petit somme avec ton corps froid. Et ce sera le meilleur souvenir de toute ma putain de vie.
Pando
Lun 27 Mai - 8:20
Ilya K. Romanov
EMISSARY OF DEATH
Impétuosité : 165
▬ Je crois que tu ne saisis pas bien à quel point ça me blesse !
Je lève les mains comme en signe de rédition, ce n'est manifestement pas aujourd'hui qu'elle décidera d'entendre raison. Toutefois, je ne manque pas de souligner le fait suivant, comme une amère plaisanterie au vu de la vie qu'elle mène, et des véritables blessures qu'elle doit probablement endurer pour un verre mal servi, un parfum trop fort, un retard imaginaire, qu'en sais-je : ▬ Que voilà un bien mauvais choix de mots, mais j'entends bien ce que tu me dis.
La violence pour moyen d'expression. Même si j'ai souvent joué avec les limites, souvent avec Dorreh, ce ne fut jamais pour le faire souffrir. À vrai dire, je ne prends pas plaisir à la souffrance des autres, même s'il m'arrive souvent – comme maintenant – de leur mettre le visage dedans. Après tout, il n'y a pas de protection à se voiler la face, nulle garantie de bonheur à se répéter que ça ira mieux demain.
Claus est une femme de prime abord forte, qui sait bien que se bercer d'illusions n'a jamais rendu personne heureux. Il faut savoir dire Stop, prendre les mesures qui s'impose pour le bien des uns et des autres. Je ne la quitte pas du regard, nullement honteux de ma manœuvre, je la trouve même plus astucieuse à vrai dire. Sans vouloir me jeter de fleurs. Mais quand même.
Je prends une longue inspiration, profite d'un fin courant d'air qui vient de l'extérieur, et qui doit aussi la mettre davantage à l'aise. Je scrute ses réactions sans bouger, je ne sais pas ce qu'elle attend de moi. Sans doute pas un câlin. Et tant mieux parce que je ne suis pas particulièrement démonstratif de ce côté-là.
▬ C'est à moi, et à moi seule, de faire ça. Tu entends ? ▬ Je te regarde faire, je te regarde mais il semblerait que tu n'aies pas à cœur de sauver ta vie.
Je fronce sensiblement les sourcils. Je me souviens du sentiment que j'ai ressenti, avant que nous ne nous rencontrions, ce fameux jour qui a fait que nous nous sommes trouvés justement. Ce sentiment de puissance quand j'avais ma propre vie dans la main, quand je pouvais décider de lâcher ou de continuer à tenir. Ce plaisir immense à me sentir comme mon seul Dieu, à tenir un fil au-dessus de mon corps désarticulé. Pardon à mes Dieux, ceux qui trouvent des noms différents dans les bouches des uns et des autres, pardon Seigneurs de mes prières, mais j'ai pris la décision à votre place. Et que c'était bon.
Peut-être est-ce cela que je devrais dire à Claus ? Le plaisir immense qu'elle ressentirait à l'écraser, à mettre son ennemi vicéral à terre, à le regarder à genoux et à être celle qui a pouvoir de vie ou de mort sur lui. Si je ne croyais pas en la justice, je lui conseillerais de commencer à préparer le terrain des plaintes, des hôpitaux, des témoins et un beau jour, à prendre son arme de fonction. Voir la peur dans un regard qui a peur de mourir, la peur dans un regard conscient qu'il ne contrôle plus rien, la peur dans un regard... des yeux qui se révulsent une dernière fois.
La mort n'a rien d'esthétique. Un corps qui s'écroule, avec tout ce que ça implique de réactions corporelles. J'essaie de lui faire comprendre, par un témoignage, comme un autre, elle me somme d'arrêter silencieusement. Je me réduis au silence, à contre-coeur. Me plaisant de temps à autres à écouter le son de ma propre voix, et la vérité qu'elle délivre.
▬ Je me fous totalement de l'histoire des autres. La mienne me suffit amplement.
Et je te le dis parce que tu comptes pour moi. Ton histoire ne sera bientôt qu'un vulgaire fait divers. Et ne compte pas pour moi pour écrire un beau petit texte pour tes funérailles. Je croise les bras.
▬ Et quoi ? Tu vas créer ces limites toi-même avec un bout de papier ? Je suis la mieux placée pour savoir que ce dossier va finir sur une pile d'innombrable cas similaires, dont les coupables n'auront qu'une pauvre amende ridicule. ▬ C'est l'excuse que tu t'es choisie ? Claus. Ou tu avoues que tu as trop peur et nous passons à autre chose, ou tu brandis cette excuse ridicule et je l'écraserai en quelques mots, et la suivante, et la suivante.
Mon index droit dessine des cercles à l'intérieur de ma main gauche, machinalement. Penser à autre chose, garder assez de concentration pour faire face à Claus et son charisme qui déborde de toutes parts. ▬ J'ai bien conscience que tu t'inquiètes pour moi, et je sais que ce n'est clairement pas malveillant, mais je ne veux pas que tu te mêles de ça.... C'est mon mari. Et donc mon problème.
Voilà la réponse alors. Une fuite. Je baisse les yeux sur son bureau et désigne ses affaires d'un simple geste du menton. ▬ Bien bien, parlons donc de ton meurtre.
Je relève les yeux sur elle, bien conscient de l'ambiguité de mon propos. ▬ Enfin, façon de parler. Bien entendu.
Colère se distille lentement dans les veines, et c'est elle-même qui fustige les os endoloris par les mains anguleuses d'Adrian. La sensation de se faire battre encore lui scarifie la moelle, et pourtant, elle ne parvient pas à ignorer la souffrance. Elle est là, dans ses artères, à crever les fleurs des cathéters. Face aux sinuosités d'Ilya, elle sent le brasier se multiplier par dix, arpenter ses nerfs, ses neurones. Un instant, elle le giflerait. Comme s'il pouvait être son véritable enfant. Comme s'il pouvait remplacer celui qu'elle a perdu volontairement. N'est-ce pas ce qu'il est ? L'enfant-ressuscité. « Ne joue pas avec les mots, tu sais à quel point ça me met hors de moi. » Et elle déteste cela. Bien plus que toutes les formes de discussion. Bien plus que toutes les formes de défense. Voilà entourloupes qu'elle exècre bien trop pour y répondre. Et finalement, elle se redresse, et les yeux s'écarquillent subitement. Comme une bonne baffe en pleine gueule, Claus affronte une nouvelle vague d'inquiétude mal foutue, balancée dans la seule parure qu'Ilya lui offre : la violence. « Je suis seule décisionnaire, du moins est-ce ce que je croyais avant que tu te permettes d'outrepasser ça. » Et elle gonfle ses poumons. Et un moment elle a envie d'un verre. Vraiment. Beaucoup. Et devant la fermeté des mots, la blessure qu'ils infligent un à un, Claus se renfrogne, se recule, craque l'atlas, les ventricules.
Elle l'aime, Ilya. Comme elle aimerait un fils. Plus que tous les autres, il est l'ultime muraille entre ce monde et l'abomination de sa maison. Et elle l'aime encore davantage lorsqu'il fait preuve de son affection de la sorte. Même s'il lui fait mal. « Alors c'est ça, ta méthode ? Me faire du chantage ? J'espère que tu plaisantes. » Parce qu'elle, elle ne rit pas. Et ça ne la fera pas beaucoup plus rire, oh non. Il y a des choses que l'on sème et qu'elle est susceptible de laisser pousser. D'autres, en revanche... sont déterrées sur-le-champ et renvoyées à l'expéditeur. « Parce que dans ce cas, tu risques de ne pas apprécier la fin de notre entrevue. » Il est prévenu. Et si, pendant un instant, elle pense en avoir fini, voilà qu'il valse encore avec son propre sang, éclaboussant l'âme d'une nouvelle joute cinglante. Son meurtre. Sa mort. « Va te faire foutre, Ilya. » Et elle ne mâche aucun mot, le lui pose sur un plateau, sans regret aucun. Expéditive lorsqu'elle atteint la limite de sa patience. Voilà la Muraille de Claus. « Maintenant sors, j'ai du travail. On reparlera de ça plus tard. Ou en fait, non, nous n'en reparlerons pas. » Alors elle remet le nez dans ses dossiers, se désintéresse du môme qui vient de lui pourrir encore davantage son après-midi, et attrape un stylo pour tenter de se concentrer à nouveau. « Passe un agréable après-midi. »
Pando
Lun 3 Juin - 7:53
Ilya K. Romanov
EMISSARY OF DEATH
Impétuosité : 165
▬ Ne joue pas avec les mots, tu sais à quel point ça me met hors de moi.
C'est vrai... Elle a horreur de ça, et c'est un jeu que j'adore à l'inverse... Je souffle doucement et répète comme une leçon bien apprise, et c'est ce qu'elle a envie d'entendre, c'est ce que je vais lui livrer pour l'apaiser : ▬ Tu es seule décisionnaire.
Sauf que parfois, à laisser un animal blessé seul décisionnaire, il ne va pas forcément dans la bonne direction, il ne fait pas les bons choix, et il ne sait pas ce qui est bon pour lui. Mais elle a raison, elle est seule décisionnaire. Si ce n'est pas sur elle qu'il faut agir, peut-être un jour faudra-t-il prendre le mal à la racine. L'arracher, comme une mauvaise herbe.
Je me rapproche d'elle, ses traits sont crispés, mes doigts viennent effleurer les siens et d'une voix lasse, je lui dis ce qu'elle devrait déjà savoir. Ce qu'elle refuse de voir, aveuglée par un voile de colère et de déni qui lui barre la vue. Qu'elle a peut-être besoin qu'on lui fasse du chantage, mais que je ne pratique pas ça. Voilà ce que je lui dis. Tu as sans doute besoin qu'on t'en fasse, mais pas moi. Voilà. Pas avec elle. Oh Claus, pourquoi ?
▬ Va te faire foutre, Ilya. Comme un gifle, je lève brutalement les yeux sur elle. Alors, c'est ainsi ? Je hausse des épaules, ces mots-là ne me font rien, même pas mal. Je les ai déjà entendus. Comme on est une personne comme moi – insupportable et qui s'écoute plus qu'il n'écoute les conseils des autres – on est contrariés de temps en temps. C'est bien normal. Il est vrai que c'était blessant, c'était facile, et pourtant... Elle s'en détacherait si elle savait que c'était faux.
Tu le vois bien, ton cadavre sur le pavé ? Elle reprend place sur son trône, à son bureau, forteresse derrière laquelle elle se pense à l'abri. Je prends place sur le siège en face de son bureau et claque du poing pour la faire sursauter, alors qu'elle a le toupet de me souhaiter une bonne journée. J'attends qu'elle daigne lever les yeux pour lui demander de se calmer. Je reprends la chemise que j'ouvre, en faisant un léger « shhhht » du bout des lèvres pour la garder dans le silence qui vient à peine de s'installer. J'ouvre la sangle et penche doucement la tête sur le côté, observant la guerrière, privée d'armure. Privée d'épée. Privée de bouclier.
Et je laisse tomber les feuilles de la chemise devant elle. Page blanche. Page blanche. Page blanche. Je lève les yeux au ciel et me laisse retomber sur le siège en face d'elle, calant mon dos en arrière, croisant les jambes. Je suis chez moi, ici comme partout. Je ne veux pas partir et la laisser dans cet état de nervosité. ▬ Plus je te juge, plus cela veut dit que je t'aime, Claus. Alors quitte donc cet air renfrogné maintenant, et parle-moi de ton affaire. Tu ne vas pas heurter ma sensibilité, et je ne vais pas partir sur ton ordre, donc...