Entends le cliquetis des verres propres, entre les mains assurées qui ne les font choir. Entends-le comme un rire cristallin au loin, comme un non-dit, comme tout ce qui se dresse en dernier rempart face au silence de la soirée. Un goût de thé encore dans le fond de la gorge, comme un arrière-gout, et je me repasse notre conversation, entre Yeva et moi, à savoir si les mots ont été justes, si mes choix l'ont été, si mes pensées l'ont été.
J'inspire profondément, lève la main pour renvoyer le barman qui s'est approché, profiter du silence. Priver le monde de ses voix, priver le monde de ses véhicules, priver le monde de tous ses bruits. Je ferme les yeux, entends le cliquetis des verres propres, entre les mains assurées qui ne les font choir. Je voudrais pouvoir rouvrir les yeux et qu'il soit ici. Il serait ici, et nous serions ailleurs, loin de la belle Rouge. Loin des lois qui le menacent, qui par un beau matin poseront un regard accusateur sur lui. Quand ses jeux de lumière seront des armes d'un commun accord.
Silence. Disaient mes sœurs quand j'arrivais, j'appréciais ça. Un sifflement qui précède le calme. Peu nombreux sont ceux qui ont déjà repris le cours normal de leurs existences. Ils se sentent violés, volés, soupçonnés et je ne doute pas qu'il y a eu des « dérapages » en plus des belles prises de l'armée et de la police. Le cliquetis de mon propre verre posé contre le bar, j'ouvre les yeux en oubliant presque que j'ai commandé en arrivant. Je le prends, le repose pour entendre le verre sur le zinc, encore une fois, encore une fois.
▬ Longue journée, pas vrai ? me demande l'homme de l'autre côté du bar. Je lève les yeux sur lui, ne semblant pas comprendre s'il attend vraiment une réponse de ma part ou s'il a sorti cette phrase d'une banalité affligeante au tout venant. Je hausse des épaules, regarde mon téléphone pour voir si Dorreh a donné signe de vie, toujours rien. Idiot. Finalement, je pose les yeux sur mon verre et le lève, comme si je comptais trinquer, dans sa direction.
▬ Disons que ce soit, tout est permis. Arrêtez-moi si je me mets à sauter sur le bar pour entamer une danse lascive qui vous mettrait dans tous vos états. Il esquisse un sourire et s'éloigne, je porte mon verre à mes lèvres.
▬ Ilya ?
Hm ? Je lève les yeux et pivote sur le côté, reconnaîs un visage aperçu rapidement dans une foule mécontente il y encore trop peu longtemps, un visage de mon adolescence, quand je commençais à me détacher des ragots d'ailleurs. Je me lève de mon siège, inspire profondément et lève le menton pour la considérer, un sourire tout de même pour trahir cette agréable surprise. J'emporte mon verre et me rapproche d'elle, lui offre une légère révérence :
▬ Pour te servir. Tu n'as pas changé !
Forcément qu'elle a un peu changé, mais toujours cet air un peu dévergondé. Peut-être est-ce le contenu de son verre, l'odeur unique du whisky qui accompagne un maigre repas. Je garde mon verre à la main et la contourne, me tourne vers elle à nouveau. Soudain, les bruits de couverts dans les assiettes semblent tous faire leur apparition. Je lance une oeillade vers la salle, les consommateurs qui discutent. J'essaie d'accorder toute mon attention à Atalia :
▬ Bonsoir Atalia, je crois qu'il convient de te demander comment tu vas ?
- Dans le verre:
La boisson de foufou qu'il boit... c'est un perrier menthe