Son frère va à nouveau mal. Secret trop bien gardé de la couronne, de l’état du coeur de l’héritier qui s’affolle parfois de trop dans ses excès, du gendre idéal qu’il n’est pas. L’inquiétude a été lancinante toute la journée durant, sans qu’elle ne puisse approcher, écartée pour un crime commis à ses seize années : déclencher la colère effroyable ayant conduit au diagnostic. Elle a tourné en rond, impuissante, un verre de vodka à la main au crépuscule rougeoyant, les prunelles ambrées tournées vers la fenêtre du salon de musique. Le dilemme est grand, son comportement relativement mal compris - comme toujours. Pas d’orphelins dont elle prenne soin pour s’occuper l’esprit, pas de promenade vers le bâtiment les abritant, pas de confidences auprès d’Orphédia, elle s’est simplement isolée. Elle a bougé une pièce du jeu d’échecs posé dans la pièce, d’une partie perpétuellement en cours entre elle et le tsar, quand l’un passe dans les parages, constate le déplacement de l’autre, entrainement qui n’a jamais vraiment cessé. L’élève ne dépasse jamais le maître, malgré les années. « Altesse ? » Aleksandra tourne le visage en direction de la porte, un médecin s’étant prudemment approché afin de délivrer son message. « Votre frère est fatigué mais il ira bien. »

« Je n’en doute pas. » La phrase est lâchée tandis qu’elle dépose son verre vide sur une petite table à proximité et qu’elle entreprend de monter rapidement les étages qui la séparent de ses appartements - et par extension, de ceux de son père. « Je sors, des affaires à régler. » Le ton est contrarié.

Ce n’est qu’une heure plus tard qu’elle arrive devant l’établissement, une fois changée, coiffée et loin d’être grimée. Princesse n’a pas choisi les traits du garçon, l’évidence frappe d’autant plus lorsqu’elle abandonne son manteau au garde du corps qui retourne se poster à l’extérieur sans qu’un mot ne soit nécessaire. Robe noire suit les courbes et décolleté plongeant déconcentre les quelques étonnés à proximité. C’est que la rousse semblait avoir disparu des mondanités quatre années auparavant, qu’elle paraissait s’enfermer au palais sans guère accepter de participer à la vie de Moscou prétextant à qui voulait l’entendre qu’elle se consacrait à ses deux charmants enfants aux minois de portraits parfaits.

Raskovnik en ligne de mire. Elle en avait fait des recherches, épluché des témoignages, arraché des aveux au médecin qui avait eu l’extrême bonté de lui sauver la peau, de piocher dans sa réserve. Feodor l’avait bien payé, elle l’avait récompensé en consentant à ne pas le dénoncer au tsar, protégeant par la même ses propres intérêts. Ce n’était pas pour elle, qu’elle était là, c’était pour son frère, parce que si elle n’avait pas apprécié qu’on lui inflige ce changement, si elle aurait préféré qu’on la laisse mourir en couches, elle ne pouvait tolérer l’idée de perdre un des précieux fils Romanov. Elle s'était déplacée pour autant de réponses que de solutions.