Un, deux, trois
Un, deux, trois

Mirettes capturent l'instant d'une aura céleste. Quelle beauté ! Et ça grignote la tripaille, fait pulser l'émoi sous la chair délicate. D'un doigté séraphique, Dame pulse le ramdam d'une mélopée homérique. La soirée s'annonce grandiloquente ! Tout en toi chevrote de pétulance. Tes bras s'arquent, miment quelques arabesques incohérentes. Point de modération quand il s'agit de guider la gloire ! Pourtant, ce n'est pas ton sobriquet que l'on scande lorsque les rideaux s'abaissent enfin. Ce n'est pas toi, que tu exhibes outrageusement aux quatre vents. Ce sont eux: la marmaille aux milles joyaux qui fait battre ton cœur d'ivresse et flatte ton orgueil d'une splendeur tant adorée.

Pour cela que tes sourcils se froncent lorsque lutine trottine jusqu'à toi. Et ce sont les lippes qui s’apprêtent à réprimander que tu t'empresses de clore lorsque la petite voix transmet enfin l'information. Cornelius. Ton monde s'enlise, l'espace d'un moment où tu ne parviens pas à te remémorer ton propre nom. Le palpitant s'emballe sous la chemise diaphane, moteur fumant d'une euphorie lancinante. Les prunelles aspirent à s'amarrer quelque part, mais aucun regard semble suffisamment solide pour contenir ton vertige. Cornelius. Trop d'années et de lettres se sont effeuillées depuis votre dernière entrevue. Les doigts fourragent dans les boucles pour sculpter l'apparence, le museau renifle à l'encontre d'une surface miroitante pour épousseter les dentelles. Cornelius. Est-elle présentable pour, Cornelius ?

« Encore une fois, que tu lances nonchalamment à l'acrobate, sans même jeter une seule œillade à son exploit.

D'un geste pompeux, tu balayes la toile pour regagner l'extérieur. Il est là, bien entendu, comme autrefois. Tu reconnais l'amertume d'une existence morcelée dans ses grands yeux ternes. Et vous restez ainsi quelques secondes, le temps d'appréhender cette vision improbable, cette réalité rocambolesque que de se retrouver ici: l'un en face de l'autre. Puis tu t'impatientes finalement; chose plutôt habituelle lorsqu'il s'agit de lui. Un pas devant l'autre jusqu'à venir heurter la bulle chimérique de son espace vital.

– Les décennies ont terni ta binette. Tu es devenu vieux.

Et d'un élan titanesque, tes bras écrasent l'ossature du gaillard contre ton sein.

– Les flots t'ont enfin mené jusqu'à moi ! »

Tes bras l'enlacent plus fort encore. Nuée de volatiles entre les lombes. Des étincelles entre les parois étriquées de la caboche. Des années se sont dérobées depuis la dernière fois. Pourtant, son parfum reste le même. Et tu l’inhale dans de grandes inspirations. Combien de fois as-tu songé à cela, hm ? Trop souvent. Bien trop. Le palpitant s'agite dès lors de quelques trémolos anciens. Cornelius. Tu l'as rêvé si fort, malgré ses obligations, malgré les tiennes. Cornelius. Perles iodées au coin des cils.

Citrouille contre carafon, tes prunelles s'immergent dans les siennes. Océan noir animé de remous impétueux. Phalanges s'osent à esquisser les pourtours de la trombine. Caresse chapardée au néant. Frisson le long de l'échine. Tu t'égares en contemplations ahuries. Splendeur de l'homme ravagé par un chagrin gargantuesque. Mavka trémule dans le lointain et tu perçois son chant pittoresque. Poupée céleste salue imperceptiblement l'Amour sous ses mirettes enjôleuses. Apparition spectrale qui ne persiste qu'une fraction de seconde seulement.

« Me voilà comblée de te voir ici, que tu inspires péniblement.

Mais l'ivresse laisse rapidement place aux tourments. Se fronce alors les sourcils, lèvres tordues d'incompréhension. Tandis que les derniers événements reviennent au galop, polluant les retrouvailles d'incertitudes et d'effroi.

– Qu'est-ce que tout ceci, Cornelius ? Comment peux-tu cautionner cela ? Je veux dire...

Puis s'agite la tignasse à moitié défaite.

– ...as-tu perdu l'esprit durant ton périple ? »

S'éloigne la muse dans quelques bourrasques doucereuses.
Théâtre de l'absurde.

Mavka s'impatiente sous la soie délicate. Sûr qu'elle partage ton embarras. Et tu esquisses sa fougue, là, qui se diffuse à folle allure entre tes alvéoles. Elle pourrait l'avaler, du moins l'étreindre jusqu'à ce que s'en vienne l'overdose. Courroux galoche passion. Et voilà que pèle-mêle ébranle les sens. Tes mirettes se ferment une seconde. Crois-tu sérieusement qu'il pourrait t'abandonner au désarroi ? Non. C'est la Sirène, sifflant entre les parois crâniennes, qui travestie réalité. Ce qu'elle l'aime, elle aussi, la Néréide ! Légende d'un autre temps, sur les bords de rive, à charmer quelques larges épaules. Rictus partagé en dedans s'ébauche alors sur les lippes. Comme autrefois, la douleur viscérale de ne pas succomber à ce qui trémule sous la chair brûlante. Comme autrefois, la tempête qui s'y mêle lorsque prunelles s'amourachent enfin.

« Ne me trahis pas, que tu grondes entre chicots, d'une inspiration fragmentée, Mavka sous la langue.

Dualité s'étiole dès lors au gré d'une brise timide. Et tu papillonnes, l'esprit libéré d'un joug pernicieux. La menotte s'empare du poignet gracile, espérant recouvrer un brin d'équilibre entre l'ailleurs et ici. S'agite la caboche pour chasser les dernières poussières d'une conscience parasitique. Phalanges s'entrelacent aux siennes. Trop de décennies à ne pouvoir ne serait-ce que l'effleurer. Et tu souffles toute la tension qui s'émulsionne entre tes lombes. Être auprès de lui n'a jamais été simple. Il suffit d'écouter le ramdam sous ta flanelle. Il suffit de percevoir le trouble entre tes ventricules.

– Viens !...

Te voilà qui l'entraînes sous la tonnelle. Palais des splendeurs ! Milles éclats qui s'offrent aux yeux. Sourire triomphant s'étire sur la petite gueule angélique. Quelques pas d'avances sur lui, et tu tournes sur toi-même, bras écartelés en une accolade adressée au néant.

– Cela ne pourrait pas être plus parfait !, que tu t'esclaffes; jouvencelle.

Ton rire lézarde les toiles autour de vous. Au-delà, chacun s'attelle à sa besogne. Monstres délicieux. De visages pittoresques en silhouettes rocambolesques.

– 'ne manquait que toi... »

Tes pas dévorent une fois de plus la distance entre vous. Mirettes se fondent au cœur des siennes. Electricité cuisante.
Le vide t'éprend.

Dieu que ça te prend les tripes, lorsqu'il pose paluches sur ton squelette ! Et ça trémule sous la flanelle délicate, ça se cabre de chimères lointaines. Mirettes suspendues aux siennes, ce sont les abysses de quelques caresses chapardées qui t'avalent, gloutons faméliques à la gueule béante. Étourdie, la grande blonde s'enivre des éclats lumineux dansant sous les cils rondes nébuleuses. Face contre face, Mavka s'alanguit à son tour. Sirène dangereuse ondulant au cœur de cette étreinte salvatrice. Point de Carol pour se saisir des arabesques qui serpentent jusqu'à la ceinture.

Caboche s'incline à droite, puis à gauche. Et voilà que l'hilarité te gagne, t'arrache les côtes. Alors tu l'entraînes plus encore dans les tréfonds indicibles des coulisses. Dévoiles à ses quinquets poignée de saltimbanques, de faciès difformes en tronches mutilées. De masses démesurées en carrures titanesques.

« Ce sont eux qui ne laissent quiconque m'approcher !...

Tu te flanques contre sa musculature d'homme. Jouvencelle; cils papillonnants aux émois d'une jeunesse bien trop vite envolée. Ô comme tu souhaiterais briser la glace ! Alors ta bouche mime quelques bécots impudents au coin des lippes. Peut-être pourrais-tu t'effacer au profit d'une Mavka impatiente ? Et tu l'interroges d'une trombine profondément perplexe. Puis le traînes plus loin, une fois de plus, là où les regards cessent enfin de vous torpiller.

– Voici ma mansarde !

Dorures et étoffes aux teintes colorées. Gigantesque bassin au milieu de la couche pour pomponner les ecchymoses de son échine. Objets fantasques çà-et-là venus des quatre coins du monde. Et la Dame qui s'étend de toute sa féminité sur le sofa d'un vizir depuis longtemps oublié déjà.

– Et toi, que tu reprends, laisseras-tu quelqu'un me toucher et m'enlever ? »

Mavka chevrote sous le derme. Sûr qu'elle s'alanguit devant le matelot. Comme jadis - et à l'image des filles de joie sur les docks - son chant mirifique lézarde le long des tentures. Et toi, tu disparais de le retrouver enfin. Point de querelle entre les deux miroirs qui s'assemblent et se dissocient. Tu accueilles les frasques de ta seconde. Ce sont ses soupirs qui s'étiolent en veloutes impétueuses d'entre tes lippes. Voilà que tu ricasses, jouvencelle et ingénue. Étendue sur les étoles, tu attends le coup de grâce, celui qui te ramènera plus encore contre ce marin que tu n'as cessé d'attendre jour après jour.

« Maintenant que tu es là, je sais qu'il ne pourra plus rien nous arriver. Ni à moi, ni aux enfants.

Sûr que tu déposerais ta vie entre ses paumes. Sûr que tu lui livrerais tes stigmates sans incertitude. Alors tu tournes ta gueule satisfaite pour lui offrir une risette fantaisiste.

– Te rappelles-tu la première fois que nous nous sommes aperçus ? Funambule, je me pavanais sur les hauteurs. Je savais que tu me rattraperais lorsque j'ai chu, alors que j'ignorai encore tout de toi.

Et tu cancanes fièrement, le bout de tes doigts flirtant avec la délicatesse du tissu sous ta panse famélique. Une illumination te vient aux synapse. Et v'là que ton claquoir s'ouvre un coup pour se refermer aussi sec. Tu hisses ta silhouette disloquée sur les genoux de Cornelius, t'éprends de sa nuque comme l'aurait fait une cocotte.

– Trop d'années que nous n'avons pas fait de numéro, toi et moi ! Il le faut. Demain soir ? Oui, demain soir. C'est comme le vélo, cela, ça ne s'oublie pas ! »